PETRA PLATZER / HABITER LA COULEUR
Lorsqu’elle évoque sa palette chromatique, Petra Platzer explique à quel point cette préoccupation lui a été transmise par filiation. Pour elle, la couleur s’ancre dans un principe d’énergie vitale, étroitement connectée à des souvenirs d’enfance : « Lorsque je me promenais avec ma mère, elle me disait souvent : "Tiens, regarde, ça c’est un rouge mort." Ou au contraire : "Voilà un jaune bien vivant." Quant à mon père, chercheur en physique appliquée, il m’a fait percevoir très jeune la lumière comme matière et support, et grâce à lui, j’ai pu faire mes premières expérimentations optiques, avec des lentilles de verre et des appareils photos. Ma quête de cadrage lui doit beaucoup. »
Cette approche rétinienne marque chacune de ses compositions : ses toiles révèlent des traces vibrantes de lieux et d’expériences — des transcriptions de rencontres avec des espaces et des corps, des souvenirs où se superposent le plaisir et l’hédonisme.
Pour cette artiste, tout est affaire d’intensité de présence : entre deux textures, entre deux tonalités, des situations émotionnelles se mettent en place. À l’Académie de Munich, au cours de ses années de formation, Petra Platzer expérimente beaucoup à l’atelier de verre, car le vitrail, par sa qualité translucide, amplifie encore les intensités chromatiques. Aujourd’hui, par des effets complexes de superposition des couches picturales, l’artiste continue à rechercher cette même incandescence, en variant les effets de liquéfaction colorée et de translucidité, en fuyant les empâtements figés, malgré des stratifications très feuilletées par endroits.
Motivée par cette quête de variations lumineuses et colorées, Petra Platzer travaille peu dans l’atelier, mais préfère sortir ses toiles dans le jardin, travailler au sol à l’horizontale, avec un élan nomade, face au ciel. Physiologiquement, elle tente de s’appuyer au maximum sur l’énergie particulière d’un rai de soleil, d’une éclaircie soudaine, d’un réchauffement doré. Dans ce Freiluftatelier, à ciel ouvert, la couleur devient le sujet même de la représentation.
Le principe des séries semble s’installer assez tôt chez l’artiste : il lui permet une plus riche exploration des contrastes, des variations formelles, des légères déformations qui impulsent une forme de vie organique dans la composition. Longtemps, Petra Platzer a creusé la question du portrait, comme un motif de projection alter-égotiste. Puis ce fut le cycle des patterns géométrisés, où les couleurs se mirent à dialoguer au sein d’une trame qui les contraignait et les libérait dans un même mouvement. Enfin, ses dernières recherches la mènent vers des processus de recouvrement, où les couleurs jouent de transparences, et laissent parfois ressurgir des collages appliqués en fond de composition, des réminiscences d’images qui amènent des indices, des éléments sémantiques d’enquête picturale, comme si dans la profondeur du tableau, l’artiste ouvrait des pistes pour regardeur détective. Au chapitre des nouveautés, Petra Platzer imprègne également certaines toiles brodées, chinées en Mayenne sur les marchés aux puces, avec des ornementations de motifs délicats : sur ces textiles du quotidien, l’artiste travaille la teinture et l’impression, dans les reliefs du tissu, en épousant ses plis et ses replis.
La série de Port-Louis pourrait se lire comme un hommage à ce lieu entouré d’eau, sorte de topos à l’énergie propre qui a su déclencher chez l’artiste des procédés d’identification et de profonds désirs chromatiques. Dans un état d’écoute augmentée du genius loci de Port-Louis, Petra Platzer s’attache à rendre les variations de lumières, la fugacité de l'air, le miroitement de l'eau, l’attitude contemplative d’un être au repos. On est proche ici du projet matissien : intégrer les corps au paysage, et rechercher dans l’équilibre des compositions un état de calme, de luxe, de volupté. Sur la base de photographies prises in situ, l’artiste déploie de multiples approches d’imprégnation du contexte : comment projeter sa propre sensibilité au sein de ce paysage à la fois miroir et altérité ? Dans ce lieu à habiter par la couleur, l’artiste capte l’activité sereine de certains acteurs récurrents, un enfant concentré sur ses constructions de sable, un plongeur, un photographe…Ces éléments figuratifs entrent en tension avec les surfaces palimpsestes des tableaux, leurs dynamiques abstraites de liquéfaction et de glissements divers, autant de mouvements qui traduisent l’empathie du regard.
Mues par la même force immersive et contemplative, de grandes toiles accompagnent cette série pensée comme un souffle choral : les titres eux-mêmes (Morphologie de l’empathie, Les Bonnes cellules) renseignent sur cet univers peuplé de monades organiques dont les formes et les couleurs s’épousent. Entre ces grands et ces petits formats organisés en polyptyque, Petra Platzer panache son exposition d’incursions purement abstraites et de motifs figuratifs : pour elle, importent essentiellement les processus de métamorphose, de digestion, d’incubation par la couleur. En ce sens, on pourrait facilement lui prêter les propos de Howard Hodgkin lorsqu’il déclare : «Je suis un peintre de la représentation, mais pas un peintre des apparences. Je peins des images qui représentent des moments d'émotions.»